41. Le respect du moyen.

 

 

Tong demanda trois fois à Heidi qu’il était disponible à continuer la lecture du Livre de « l’Enfant ».

 

La jeune femme lui rendit son sourire et dit trois fois :

 

- Ce n’est pas le temps… Il faut laisser son Temps à cet Enfant.

 

Le long moine la regardait interrogateur. Elle faisait semblant de ne pas percevoir sa préoccupation.

 

Alors après un moment, ne pouvant pas rester éloigné d’elle, il ouvrait la bouche et laissait sortir de ses lèvres les mots qui faisaient plisser le front de contrariété à la jeune femme.

 

- Tong… Voyons !... Laisse donc le temps à la mort de partir pour que la vie reprenne sa place.

- Mais qu’est-ce que c’est que la mort dans cette histoire si ancienne déjà ?

- La vraie mort, c’est seulement l’oubli de la vie, dit-elle en fermant les yeux sur la colère qui commençait à venir dans son ventre. Il le fait exprès !... Avec ses questions qui remuent l’inutilité des mots !

- Tu veux dire que cet « Ange Bret », redonne vie à l’enfant ?

- On ne dirait pas que « l’autre » Ange t’a pas montré pendant trois lunes pleines comment vivre dix vies dans la même respiration ! dit-elle avec la colère qui sortait de ses yeux maintenant.… Mais qu’as-tu donc senti dans ton corps ?... Enfin !... A-t’il perdu son temps avec toi à tenter de redonner vie à toutes tes élans avortés depuis des vies et des vies ?

…Ne l’as-tu pas entendu avec moi, dire et redire que seule l’accélération du temps poussée à la limite de son mouvement pouvait te permettre d’échapper à la prison du passé ?

- Si, dit Tong.

- Alors, tu ne comprends pas qu’il redonne vie au mouvement de cet enfant et que cela va être PLUS la réalité que celle qui fut vécue par l’enfant !… Que cette nouvelle RÉALITÉ sera celle qui sera inscrite dans l’Univers !!!!... Que cet enfant va pouvoir revenir avec ce CAPITAL nouveau… et en avoir terminé avec l’ÉCHEC… Comprends-tu cela, moine sans corps et cervelle ?!

 

La jeune femme montrait maintenant sa colère par tous les pores de sa peau, des flammes de ses yeux… des griffes de ses mains qui labouraient le sol devant elle car elle était à genoux pour donner de nouvelles fleurs à la terre devant le pavillon de « son Ange ».

 

- Oui, je crois comprendre cela, avoua le long moine.

- Alors pourquoi toutes ces questions idiotes et tes relances lorsque je t’ai dit « non » !... Car je sais maintenant dire « NON ! » et c’est cet enfant qui me l’a appris !... Alors je peux peut-être l’aider aussi à « avoir son temps », ne crois-tu pas, grand moine sans le cœur dans le corps ?!

- Mais…

- Tais-toi donc et retourne sur ton toit… Je suis certaine que les autres t’attendent avec impatience… puisque tu leur racontes « tout » ce qui vient de moi au point que je crois qu’ils savent combien j’ai de poils pubiens… à voir leur regard sur moi lorsque je suis dans la cour !

- Cela n’est pas vrai… Heidi !

- Je préférerais que tu leur dises cela sur moi que de me faire passer pour la « parole doublée » de Ange… Cela je ne l’aime vraiment pas ! 

- Mais…

- Tu ne t’es pas rendu compte que je ne suis plus une femme de « seconde main » !... T’en es-tu rendu compte, petit grand moine encore préoccupé que de ses logiques ?!… Mais, par tous les Kamis, tu n’as pas compris la Magie de l’Univers et la merveilleuse possibilité de réparer tout, revivre tout et faire partir le présent sur autre chose que de l’ancien !... Qu’a-t’Il fait avec « nous deux » d’autre que cela, cet « Ange » ici ?!... Nous montrer dans chacune de sa respiration comment vivre mille fois en même temps et ne jamais laisser l’échec s’inscrire dans le Grand Livre de l’Univers…

 

Son regard flamboyant brûla les prunelles du moine et elle ajouta en détachant chacun des mots :

 

- Alors sois certain que je saurais te dire CLAIREMENT lorsqu’il sera le Temps de reprendre les sons du Livre et de modifier la vibration du Temps… Compris ?

 

Le long moine partit. Heidi continua à gratter la terre devant la véranda du pavillon. Elle tournait le dos au mur qui séparait de la cour des moines. Ils ne pouvaient pas voir les larmes qui coulaient sur ses joues.

 

- Même lui, Tong, il ne sait pas T’aimer !... Il ne sait pas suivre Ton Temps et se laisser bercer par lui… Il faut qu’il intervienne avec son temps, à lui !

 

Elle secoua la tête, peinée.

 

- Pourtant que de temps Tu as passé avec lui pour lui montrer par les vibrations de Ton corps !… Et il continue à suivre « son » propre temps !... Je ne comprends plus rien aux Hommes !... Peut-être ne savent-t’ils pas aimer, tout simplement ?

 

La terre reçut la force de ses mains. Elle travailla très tard jusqu’à la nuit qui ne permit plus de suivre les mouvements de ses doigts.

 

Elle remonta les marches donnant à la véranda et alluma la bougie dans la chambre. Elle organisa la pièce comme chaque soir. Elle ouvrit le lit. Elle prépara la chemise de nuit.

 

Puis elle mit un bâtonnet d’encens et elle gagna le petit réduit qu’elle occupait et allongea son corps fatigué.

 

« Que je suis fatiguée des Hommes !... Alors et Toi !... Comment as-tu pu survivre si longtemps avec eux et toujours continuer à les aimer ?... Car cela est un grand mystère pour moi… Tu vois que tu dois revenir pour me l’apprendre ! ».

 

Le lendemain Tong demanda une nouvelle fois pourquoi laisser passer le temps.

 

- Ne comprends-tu pas que c’est un combat contre la mort ?! dit Heidi.

 

Ses mots raisonnaient dans le silence du matin. Elle n’avait aucune envie de ménager une fois encore le long moine qui feignait de ne pas comprendre pour recueillir l’énergie de son attention. Cette solitude sans le jeune Blanc était trop lourde pour lui. Il avait une souffrance très réelle de cette absence.

 

Aussi, elle ne répéta pas encore une fois les mêmes mots, les mêmes explications. Il savait. Pourquoi ajouter ?

 

Alors elle lui rappela ce que le jeune Blanc leur disait de la souffrance.

 

- Te souviens-tu ce qu’Il disait sur la souffrance ?

- Oui, dit-il… Que la souffrance est toujours liée à un manque.

- Alors que te manque-t’il pour que ta souffrance soit là maintenant ? 

- Lui… Il me manque. J’ai la sensation d’être perdu sans lui. Je n’ai plus aucun support à mon action.

- Alors cela veut dire que tu l’utilisais comme une force de sécurité… seulement cela… dit-elle doucement car elle ne voulait pas peiner encore plus l’espace avec sa déception…

 

Il se méprit sur son silence qui se prolongeait et il dit, lui aussi doucement :

 

- C’était pour moi comme Celui qui est sur le chemin très en avant de moi et qui peut me guider.

- Oh !... Mais il n’y a pas de chemin !... dit-elle avec force dans son étonnement d’entendre cela dans la bouche de Tong… Tu n’as pas entendu ce qu’il disait toujours « tout est spatial… Aussi, il n’y a ni commencement ni fin… Il n’y a pas de débutants et d’avancés… Il y a que l’instant du présent et tes possibilités de le faire vibrer ! »… te souviens-tu de cela mon ami ?

 

Elle avait l’air si malheureuse de dire cela !... Tong vit de l’eau dans ses yeux.

 

- Je comprends cela, dit-il… Je le comprends avec mon cerveau et mon intelligence… Je le comprends aussi avec mon cœur !... mais mon corps est incapable de ne pas se sentir seul, abandonné.

- Et ce qui est en action dans le réflexe de la vie de tous les jours, c’est l’intelligence de ton corps… comme Il le disait toujours… dit-elle tristement… alors je ne peux pas faire grand chose pour toi, mon ami… tant que ce manque-là restera en toi, tu auras la souffrance comme compagne.

- Mais je veux que ma compagne soit toi ! hurla presque le long moine plein de douleurs accrues à entendre la jeune femme parler ainsi.

 

Elle le regarda au plus profond de ses yeux. Il sentit la pénétration de la lueur de ses yeux à elle à ses yeux à lui, et il entendit ces mots qui entrèrent en lui à tourner dans son ventre et le tortura.

 

- Je ne suis pas la Compagne de la Souffrance !

 

« Je suis la Compagne de la Vie que tu nous montres, mon Ange ». Ce sont ces mots qui glissèrent en silence dans son cœur mais le long moine ne les entendit pas.

 

Elle tourna le dos à Tong et entra dans la chambre de celui qu’elle aimait. Elle avait cueilli quelques fleurs de la prairie ce matin.

 

« Tu ne me manques pas, mon Ange… Tu mènes un combat contre la Mort et je t’aide… Tel est le seul rôle de l’épouse : donner sa force à l’époux pour qu’il puisse œuvrer… et tout de suite, tu as besoin du Temps pour combattre la mort de cet enfant… Alors, prends le Temps en moi et ne te préoccupe pas du reste… Je suis forte ! ».

 

Et le souvenir lui revint d’un coup, comme un nuage qui l’enveloppe et lui donne sa force et sa connaissance…

 

C’était encore un soir devant la lune qui venait au-dessus des crêtes. Il l’enseignait beaucoup sur le lien si étroit entre l’Homme et la Femme, entre l’Époux et l’Épouse. Il lui disait ce soir-là des mots qui frappèrent son cœur à la faire défaillir. Il a dit :

 

- La Femme est le Pire pour l’Homme…

- Mais, tu avais dit que la femme est l’avenir de l’homme !

- Oui… la femme est la porte pour l’homme car il peut alors accéder à un espace de bonheur et de paix qui ne soit pas inventé par l’intellect… mais si la femme ferme la porte, alors elle est le pire pour l’homme !

- Mais comment cela est-il possible ?

- L’homme entrera dans la femme car il a dans sa mémoire qu’elle est la porte pour lui à cette béatitude… Mais cela est une mémoire qui est liée au codage génétique au moment de la séparation entre l’homme et la femme.

- Oui, je sais cela… J’ai vu cela lorsque tu as ouvert mes mémoires en posant tes mains sur mon cœur.

- Tu n’es pas encore allé assez profond dans ta connaissance de l’Univers… Car alors tu aurais perçu que cette mémoire est un piège installé dans le codage génétique et destiné à l’homme pour qu’il s’engloutisse dans la femme et s’y perde !

- Merde !... Tu dis là l’horreur de la femme et je sens cela vrai ! hurla-t’elle.

- Si la femme est une femme ordinaire, elle sera un piège pour l’homme. Mais si l’homme est un homme ordinaire, ce piège lui conviendra bien et il trouvera un aménagement dans le jeu des sexes qui est l’agressivité en mouvement… Et ce sera la vie ordinaire telle qu’elle est pratiquée par presque tout le monde.

…mais si la femme n’est pas ordinaire, si elle sent qu’elle a un autre destin que de « manger et d’immobiliser en elle » l’homme, alors elle fera tout pour donner à l’homme qu’elle aime l’espace qui lui faut pour grandir… Ce sera alors une Femme Vraie.

…et l’Homme Vrai, lui, donnera à sa femme les moyens qu’elle lui demandera pour continuer à être elle-même… Ainsi l’Homme Vrai sera le serviteur de sa femme.

 

Le nuage cerna sa tête qui tourna. Elle se tint à la paroi de bois. Puis ces mots vinrent dans sa bouche et ses lèvres s’entrouvrirent.

 

« Tu as besoin de temps… Je serais donc ton espace Temps… Prends en moi ce dont tu as besoin ».

 

Puis le troisième jour elle dit à Tong :

- Lis.

 

 

L’estocade

 

 

- Alors Monsieur Nocquet, nous allons à la pêche ce matin ?

 

Monsieur Albert l’attendait maintenant tous les matins dans la cuisine et l’accueillait avec cette phrase.

 

Au fil des jours, Bret avait grignoté les minutes pour le lever sans apparaître comme un original. Aussi, c’est sans aucun bruit qu’il commençait Zazen à quatre heures sur le balcon dont il avait pris soin de laisser les portes ouvertes car les gonds grinçaient.

 

Il n’avait pas osé demander qu’on lui prépare un thermos de thé le soir et c’était avec grand plaisir qu’il descendait à la cuisine vers six heure trente. Maintenant, l’aubergiste l’attendait là, tous les deux rasés de frais.

 

Depuis quinze jours qu’il était là, sa femme ne tarissait plus d’éloge sur l’influence qu’il avait sur son mari.

 

- Vous vous rendez compte, Mon Bon Monsieur !... On pouvait plus le lever le matin... Si on le laissait faire, c’est juste pour l’apéro de midi qu’il allait mettre les pieds hors du lit.

 

Ils ne se serraient pas la main mais se regardaient comme des amis cherchant sur l’autre les signes satisfaisant d’une bonne nuit.

 

- Vous pensez que le poisson va mordre aujourd’hui ?

- TÉ ! et c’est vous qui me posez la question !... Sans vouloir vous vexer, mon bon Monsieur Nocquet, j’avais pensé que c’était bien la dernière chose qui vous intéresse la pêche. 

- C’est si beau sur l’eau...

- Oui, ma foi... Vous avez là bien raison... C’est curieux que c’est parfois les étrangers qui vous ré-apprennent à aimer votre pays, quand même !

- Il va faire beau, je crois.

- Je pense aussi…Un peu de brume ce matin mais ça va se lever… De toute manière, ça ne vous gêne pas, n’est-ce pas ?

- Vous, vous avez envie... Allons donc... Merci... juste la moitié du bol.

 

Ils buvaient en silence, les yeux perdus au-delà de la fenêtre, vers la rivière et ses arbres, ses bruits... les odeurs...

 

- Vous allez partir bientôt, n’est-ce pas ?

- Oui… dans un ou deux jours.

- Je le sentais... Je ne sais pas si après j’irai toujours comme ça...

- C’est affaire du positionnement de sa conscience... Qu’importe... C’est ne pas se mentir qui compte. Vous aimez votre rivière… Laissez-la donc vous entraîner, elle connaît la vie beaucoup mieux que vous...

- TÉ ! c’est justement de ça dont je rêvais cette nuit... Curieux tout de même... Mais avec vous, tout est curieux; on n’a pas l'impression de vivre sur le même plan que l’habitude... Vous savez, Monsieur Nocquet, sauf votre respect, vous êtes vraiment pas gros et à tout casser, vous gaulez pas plus que votre mètre soixante dix, mais… j’sais pas comment dire ça, c’est comme qui dirait que vous prenez beaucoup plus de place que vous en avez l’air.

- Il reste du thé ?

- Pardi !... j’ai pris l’habitude du litre que vous avalez chaque matin.

-...

- Vous avez vu, pour le STÉPHANE ?... C’est atroce le combat de ce môme. Tout le monde espère bien qu’ils vont prendre un max.

... mais vous voyez, le pire, c’est les parents...

...c’est même pas vrai.., le pire, c’est tous ceux-là qui doivent « veiller ».

- Je pense qu’il est temps.

- Pardonnez... Vous savez qu’on ne parle plus que de lui ! Tenez je disais hier à Germaine qu’on aurait aimé l’avoir chez nous ce gosse... Mais vous savez, le pire, ce sont ceux qui doivent veiller... l’instit, le curé... et puis merde, faut bien le dire, les parents... Vous savez, depuis, la Germaine et moi, on peut plus voir les flics et tous « ceux-là » de la même manière... Puis tous les autres comme je vous disais... C’est con !

…La brume va se lever. Je sais même pas pourquoi “c’est con… J’en sais rien et vous voyez, c’est ce truc qui me tracasse... Je sais même pas pourquoi je vous parle comme ça !... C’est un truc plus fort que moi... Je peux pas m’arrêter !... « C’est con »… J’ai l’impression de perdre ma vie... C’est bête mais c’est comme ça.

- Oui, je sais.

- Dites ! vous croyez que la Germaine elle a raison en disant que je suis un peu cinglé... Y a des jours comme aujourd’hui où je me demande sérieusement... Le plus beau, c’est que je me vois émotif à ne plus pouvoir contrôler les mots et qu’en même temps je ne peux rien faire il faut que ça sorte !

- Oui, je sais. 

- Je sais pas ce que vous savez... J’arrive même pas à savoir ce que vous savez... C’est con. C’est plus fort que moi… Y a comme qui dirait un truc qui me déchire à l’intérieur !... J’sais pas ! c’est comme qui dirait une blessure qui était là et que j’avais pas vu... J’peux vous dire que ça saigne à m’en couper le souffle !

- Vous pensez que le poisson va mordre ?

- Tiens, je vais vous dire !... en guise de poisson, je me fais l’effet d’en être un beau...

- La journée sera belle... Nous y allons ?

- Oui, elle va être belle ! Allons.

 

Il attendait ainsi, tranquillement, passant de la barque à fond plat à la sente suivant la rivière.

 

Pour tous, il prenait des vacances. Mais il attendait.

 

Ce fut par un matin où le soleil précoce perçait déjà la brume qu’arriva les dernières nouvelles.

 

- Vous vous rendez compte... C’est honteux ! C’est maintenant à ce journaliste qu’on s’en prend. Ils disent qu’il n’avait pas le droit de « divulguer » ses informations sans avoir prévenu « qui de Droit » !

- Oui, Madame Germaine !... HONTEUX !... Un certain Chity, je crois... du Figaro.

 

Alors il sut qu’il pouvait terminer l’affaire.

 

- Je ne serai pas là à midi, Madame Germaine...

- Ah ! vous avez donc encore à faire à Paris, mon Bon Monsieur Nocquet ?... Vous avez vu le journal !... Honteux, je vous dis. Pas pensable !... Mais c’est bien grâce à lui, ce Chity, qu’on a TOUT découvert !

 

Il a préféré aller sur Paris et laisser la voiture dans un parking pour se rendre chez Madame Broussard. Cette grosse voiture aurait pu intriguer. Il prit le métro puis le RER.

 

- AH ! c’est vous ?... Entrez.

- Vous avez ce que je vous ai demandé ?

- Avant de prendre des nouvelles de Yoko ?...

- Oui…Donnez.

- Savez-vous que NOUS sommes restés presque trois jours dans l’angoisse la plus complète ?

- Oui.

- Et cela ne vous fait pas plus d’effets !...Trois jours ! vous vous rendez-compte. On ne savait pas où vous étiez, vivant ou mort... Le Roshi en voyage.

- Oui.

- Vous êtes un drôle de garçon... Yoko…Pourtant vous l’aimiez bien.

- Oui.

- Et vous n’en dites pas plus !... Pas une explication... Nos angoisses...

- VOS !

- Je ne comprends pas, mon garçon...

- Souhaiter un rôle, c’est facile. Autre chose d’avoir les épaules pour le jouer.

- Comprends toujours pas.

- Vous avez voulu votre indépendance... Donnez ce document.

- Voilà... Je crains de commencer à comprendre...

- Bonsoir.

 

La porte s’est refermée sur lui avec le silence de la peine qu’on découvre soudain. C’est toujours ainsi. On aime tant casser, détruire. C’est après qu’on comprend et l’amitié ne se rachète jamais. Il le lui avait déjà dit. Que son cercueil soit comme elle l’avait construit.

 

Il revint sur l’Île de la Citée et marcha sur les quais. Ici aussi l’eau miroitait sous le soleil.

 

- Chity ?

- Ah ! C’est vous ?... J’ai plein d’emmerdes...

- Je sais.

- Vous vous rendez compte ! Je viens de recevoir une assignation à comparaître devant le Tribunal de Grande Instance de Paris !... Lancée par le Procureur Général et vous en connaissez le motif ?

- Oui.

- Ah ! j’avais oublié. Qu’est-ce que vous ne savez pas ?... Mais c’est moi qui vais écoper car ils me lancent entre les pattes une “obstruction à enquête criminelle”. J’aurais dû les prévenir “d’abord“ ils disent.

- Non. Vous n’aurez rien.

- ?????... Bien, je reprends mon souffle et vous demande dans la foulée ce que vous entendez par là ?

- Dans une demi-heure au café de l’angle de la place BEAUBOURG.

- Bien.

 

Il est arrivé en vingt minutes. Bret venait de s’installer.

 

- Une bière pour moi... Vous avez déjà commandé ?

 

Bret lui montra sur la table ronde en fer l’enveloppe en papier kraft.

 

Chity tendit le bras et il vit que la main tremblait légèrement. Le journaliste voulait cacher son inquiétude sous sa gouaille mais il y parvenait à peine. Ce qu’on lui mettait dans les pattes s’avérait très dangereux. Il faisait son boulot... Mais allez savoir ce que des juges peuvent penser... Les courants d’air politiques existent et il est bien placé pour le savoir.

 

Il avait gardé ses lunettes de soleil. Après un instant de regard sur la feuille unique sous plastique qu’il sortait de l’enveloppe, il les retira dans un geste brusque et elles tombèrent au sol. Il lisait, puis relisait le texte très court, dix lignes tout au plus. Il ne tenait plus le document qu’à une main car il se mit à trembler si fort qu’il a craint de le déchirer.

 

Il ne pouvait plus penser. Son cerveau venait de bloquer. Il ne se rendait pas compte que la pochette plastique protégeait la lettre autant de ses propres empreintes, que de la déchirure... Il la posa sur la table, à côté de sa bière dont la mousse baissait.

 

Il mit sa tête entre ses mains et se massa les tempes, la nuque, dans un geste calme et lent de celui qui n’a plus que cela pour se savoir vivant.

 

- C’est pas du bidon ?... Non... Vous m’avez jamais monté de charres... Putain !...

 

Il relut une autre fois, puis encore une autre, et sa main continuait à trembler.

 

- Putain !... Je suis sauvé !... Pas possible qu’ILS s’en relèvent.

- Je dirais plutôt que vous êtes en danger de mort si vous ne savez pas exploiter ce document... Vous devinez que 1’ON pourra beaucoup tuer pour le récupérer.

- TÉ ! mon Prince Archi-Duc... Vous faîtes pas de mouron pour ça. Vous allez voir comment NOUS allons les faire valser… Parce que, pour une fois, ON est bien TOUS d’accord dans la Profession. Leur attaque est inadmissible même s’ILS arrivent à la faire passer juridiquement...

 

Il dut reprendre sa respiration.

 

- Mais pourquoi vous m’en avez pas parlé avant ?... Je m’serais pas fait tout ce mauvais sang.

- Vous n’auriez pas été aussi convaincant dans vos articles... L’incertitude aide l’homme à trouver les bonnes idées.

- Dites, c’est du vrai, n’est-ce pas ?... J’ose à peine y croire.

- Toutes les analyses qui pourraient être faites sur ce document montreront que la feuille vient bien du bureau du Président, que l’écriture est bien celle d’un de ses conseillers privilégiés, que les empreintes sont bien celles de ce conseiller et du chef de la Police… Que voulez-vous de plus ?

- Rien... Merde !... Un ordre de classer l’affaire Cola sans suite !... merde ! Mais pourquoi ?

- Je n’ai pas cherché jusque-là... Mais vous avez la “bonne raison” d’avoir fait cavalier seul sans la Police… Vous avez vu la date ?

- Putain !... Je dis donc qu’un « anonyme » m’a fait parvenir « ça » en entrée de jeu et qu’il me demandait en échange de sauver la mémoire de ce garçon qu’on allait ainsi enterrer... Je vois le truc comme ça.

- Très bien… Insistez encore une fois sur le courage de STÉPHANE... Il le mérite.

- Je pense bien !

- Il fait beau... Je ne sais pas quoi vous dire, Mon Prince... Dites, laissez-moi vous payer ce Vichy fraise que vous éclusez. Un autre ?

- Non.

 

 

 

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« Que tu es beau, cet Ange Bret… Tu respectes celui qui t’a aidé… Celui qui t’a aidé devient ton ami… et celui-là, tu le soutiens dans l’adversité. ».

 

Heidi parlait dans le secret de son cœur et le long moine n’entendit rien.

 

Le Maître dit à Hiro :

 

- Cette petite femme travaille pour nous.

- Je ne comprends pas, dit le moine.

- Je sais, répondit le vieillard… Tu ne comprends pas la Magie de l’Univers entre le Bam et le Yam.

- Mais…

- Elle, dans son Bam, dit qu’elle a besoin de son Yam… et il viendra la chercher.

- La chercher ?

- Oui, il ne l’abandonnera pas car elle l’aime et se donne à lui… Elle est le moyen qu’il a pour œuvrer parmi les hommes et il protégera le moyen.

- Mais ?...

- C’est ainsi que nous pourrons de nouveau le capturer.

- Par elle ?

- Oui, elle sera l’appât.

 

 

 

 

 

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