3. Le Réveil

 

 

Le vieux respirait sur le front de l'homme sous lui. Il chauffait l'espace entre ses yeux pour que cet œil-là ne parte pas et continue à voir calmement la mort devant lui et son espace en mouvement. Il fallait qu'il reconnaisse ses terreurs comme la vague de son propre esprit. C'était essentiel pour le faire revenir sain parmi les hommes, car sans ce sourire-là, il mourra de nouveau et de nouveau et encore de nouveau...

 

Il avait placé son ventre sur le ventre de l'homme. Il avait cherché l'emplacement du nombril. Juste une légère vibration !  Il était temps.  La mort allait partir avec lui car il était déjà entré dans le premier mouvement de la mort des hommes. Alors, il a mis son nombril sur celui de l'homme et il a soufflé sa vie qu'il stocke là depuis plus de cinquante ans, depuis qu'il Voit et sait se stabiliser dans le mouvement de la Vue.

 

Il resta extraordinairement attentif à chaque vibration de l'espace, car l'une d'elles pouvait emporter celui qui était sous lui et qu'il devait faire revivre car il était déjà mort.

Cette mort-là, il la connaissait et n'en avait pas peur. Seulement, c'était la première fois qu'il en ramenait un petit de l'homme.  Celui-là, en dessous de lui avait la mort en son front et il sut qu'il était encore meilleur que lui dans la Connaissance. Il savait cela de lui car il était sous son ventre et son souffle et l'autre lui disait en retour ce qu'il est.

Et ce qu'il EST le fit frémir car celui-là, s'il survivait, allait renverser le Monde.

Alors, il continua à souffler sa chaleur d'Homme à Celui qui n'était plus tout à fait un Homme. Cela, maintenant, il le sait que ce sera son travail avant sa mort à lui et qu'il n'a plus beaucoup de temps.

 

Puis la clarté est venue doucement entre les cimes.  La nuit fut chassée de ses oreilles par le cri des effraies. Il sut alors le jour proche et il se permit de lever ses paupières sur ses joues. Des heures durant il avait interdit à ses yeux de perdre leur énergie; il avait tant besoin pour ce corps qui se réchauffait sous lui.

Il sentait la mort glisser à petit pas vers les mains et les pieds de ce corps-là et il la forçait à sortir avec son souffle à lui, sa bouche entrouverte entre les yeux de l'autre.

 

Lui, en dessous lui, il ne pouvait pas pousser la mort hors de son corps. Le vieux le faisait pour lui et sa vie poussait la mort. Elle reculait à petit pas, contrariée. Elle avait cru sa nourriture prête et elle quittait le trou par lequel elle était entrée, le dos courbé et le poil hérissé, les crocs encore saillants. Mais ce vieux-là était un Maître et elle savait, elle aussi, que le combat sera pour lui. Mais elle n'acceptait pas ce recul de son pouvoir. Le bec de l'aigle avait déjà le goût de sa proie et ses serres n'aimaient pas repartir vides, car cette vie-là, c'est de la nourriture pour son existence, et ce vieillard chétif venait et le provoquait.

Il ne le lui laissait pas le temps d'une fausse respiration et il le lui dit lorsque le vieux voulu porter les yeux sur la nuit. Immédiatement, il tira la vie hors du corps. Le vieux serra les dents et les entrechoqua, puis serrant son sexe et son anus, il envoya toute sa force dans son dos et lorsqu'il le sentit dans sa nuque, il le poussa dans son crâne et le laissa couler dans sa gorge en de longues respirations. Alors il souffla sa force au corps sous lui.

 

Il combattit la mort et tira la vie par les mains de celui en dessous de lui. Ces mains-là étaient glacées. Il attira le chaud de l'Univers dans les doigts et fit gonfler les os de la main. Puis il passa aux os du poignet et il commença à connaître sa réussite lorsqu'il sentit les os de l'avant-bras se gonfler.

Alors, il sourit mais ne leva plus les paupières sur la nuit. Il tenait la mort hors de la main. Il veillait sur le corps.

 

C'est lorsque le vent cessa qu'il perçu la force du cœur de l'homme sous lui. Il eut voulu crier de contentement car il avait gagné !

Mais ce cri-là serait encore une perte d'énergie et il ne le pouvait pas. Alors il bougea, se frottant à celui en dessous et il glissa ses mains sous la lourde veste. Le cœur battait bien, doucement, lent. La mort était partie. La larme qui glissa de la paupière gela sur la joue et il la sentit lorsqu'elle s'écrasa sur la peau qui se réchauffait sous lui.

 

Il était maintenant tout juste temps de le faire respirer par les deux pôles du Ciel et de la Terre. Il massa le cœur de ses doigts raidis par le froid dans le sens de la marche du soleil sur la Terre et entra son esprit dans ce cœur-là. Il fallait le soulager, lui dire qu'il n'avait pas besoin de faire tout cet effort pour entraîner le mouvement de la vie, qu'il y avait d'autres moyens et que ceux-là, lui, le Maître, il les connaissait.

Il posa sa bouche sur la gorge de l'homme qui sentait fort, très acide et la réchauffa, lui parlant avec son cœur à lui pour que le cœur de l'autre cesse de palpiter douloureusement. Il lui dit de calmer l'effort, de le laisser, lui, faire le passage entre la mort et la vie, ce passage en sens inverse que très peu ont la chance de connaître et que c'était sa chance à lui, lui qui sentait si fort et si acide, de connaître ce mouvement; mais qu'il devait lâcher prise, car il le sentait crispé, comme si la vie ne voulait pas de la vie. Il lui parla avec sa bouche sur sa gorge, exhalant son souffle brûlant de passion de celui qui sait que cet état de transition vaut la peine que l'on se courbe sous l'effort.

Il guida l'énergie qui se réchauffait sous lui dans le ventre de l'homme, lui faisant reconnaître l'existence de sa présence d'homme, pour qu'il sache qu'il était encore lui et que son réservoir était toujours là, ce réservoir qu'il lui dit qu'il remplira avec lui; mais qu'il devait le laisser faire, lui permettre de tenir sa petite force renaissante entre ses vieux doigts et tirer cette force-là aux deux portes de la Terre et du Ciel pour qu'il puisse aussi respirer par là et cette respiration dira au cœur qu'il existe aussi une autre manière d'exister.

Le vieux sait que c'est cette information-là qu'il doit imprimer vite dans le corps sous lui qui sent si mauvais. Cette nuit, il a perçu sa souffrance car dans la mort qui était là, il avait entendu les sanglots de celui qui mourrait et ces bruits-là, il les avait reconnus pour les avoir entendu ailleurs.  Il les avait entendus dans les nuits qui lui faisaient courber le dos et frapper la natte avec son front pour se dire qu'il était bien vivant mais que lui aussi n'en pouvait plus.

Il laisse le souffle guider la vie.  Il ne peut rien d'autre mais il a confiance car, sans cette foi-là, rien n'est possible. Alors, il lui dit d'aller vers les portes de la Terre et du Ciel. Il lui montre le chemin en portant sa force à lui sur ces points-là, refaire le trajet des canaux de vie pour qu'il se souvienne et n'ait pas peur. 

Il ne fallait pas que la peur le gagne.

 

La nuit quittait les cimes des pins et le vent l'accompagnait dans sa fuite. L'heure bleue était passée et la vibration du petit yang s'étalait sur la Terre. Le vieux en sentit le mouvement sous sa roche. Le corps sous lui soupira; alors il put se glisser sur la neige gelée.  La croûte craqua sous son poids et il sourit car il aimait cette vie qui se cachait sous elle et qui n'attendait que les premiers rayons pour jaillir de nouveau. Comme celui qu'il laissait sous la roche dans la tiédeur de sa pelisse de peau que ses moines lui ont offert pour ses soixante dix ans.

Il sait qu'il peut le laisser là. Il continuera à soupirer dans son inconscience, mais il ne craint rien car il est sous la protection du Ciel. Le vieux le sait maintenant à s'être couché sur lui et à respirer son odeur forte et acide. La force des Kamis du Ciel sont en lui et le protègent. Ce sont eux qui l'ont appelé dans le monastère et l'ont guidé ici.

 

Il sait la raison de cette odeur forte et acide. Celui-là vient des régions lointaines au-delà des montagnes et des mers, là où la peau est blanche et sans finesse. Son odeur est terrible !!!! Il l'a devinée cette nuit. 

Lorsqu'il s'est glissé hors la pierre plate qui protège, le jour est passé entre eux et il a vu le visage de l'homme : long et maigre, les yeux profonds dans les orbites saillantes. Les broussailles abondantes des sourcils se joignent ! Qu’il est laid ! Il s'en doutait mais il a tout de même fait la grimace et il s'en est voulu. Pourquoi n'avait-il pas encore lavé cela en lui ?

 

Mais il savait que ce qu'il venait de voir ne sera pas facile à vivre.  Ce qu'il voyait là, sur le visage de cet homme jeune, peut-être même pas un homme encore, tout juste un adolescent, un début d'homme, sera sa peine à lui, car c'est à ce petit homme qu'il va devoir donner tout son savoir et sa moelle. Cela, il le sait et se sera sa dernière souffrance qu'il devra changer en compassion, comme les autres, comme toutes les autres depuis maintenant des vies après des vies pour être maintenant là, dans ces montagnes gelées, avec ce corps-là glissé sous la roche plate.

 

La Terre l'a accueilli là dans la tourmente de la Terre, mais surtout dans celle d'un cœur qui n'en pouvait plus de vivre.  Elle ne pouvait plus rien d'autre que de lui donner de sa chaleur en protection, une roche plate et des pins au-dessus coupant la lame du vent glacé. Et puis, les Kamis du Ciel sont allés chercher le vieux dans son monastère. Le vieux le sait et les gouttes salées glissent dans la commissure de ses lèvres serrées. Il ne s'est pas rendu compte que ces gouttes-là sortaient de ses yeux tandis qu'il regardait ce visage, accroupi, le front appuyé au froid de la roche plate.

Ce visage-là sera la haine des hommes et il sait déjà qu'il devra le cacher longtemps puis lui apprendre à vivre avant que ce visage-là puisse sourire de nouveau et porter lui aussi le fardeau du monde en changeant la haine en compassion. Il se sent vieux tout à coup. Il n'avait pas vu ainsi les ans venir. Il les avait pris comme gentillesse du Ciel et de la Terre pour avancer sa nouvelle entrée en eux. Il avait vu sa mort approcher avec le sourire. Il avait pensé avoir rempli le contrat que la Vie lui avait demandé en l'amenant dans le monde des Hommes. Il avait cru que le destin ne voulait plus un successeur à son Savoir, à sa Connaissance des Forces qui conduisent les Hommes, à celle qui dit la manière de les transformer en bonté.

 

Il avait cru. Souvent, il avait pensé à cette absence de successeur dans les méditations de la nuit dans son ermitage de la montagne. Il s'était dit qu'il en était peut-être terminé du règne des hommes; que dans la loi implacable des changements, ceux-là allaient en terminer avec leur espèce qui n'a pas rempli les espoirs de la Connaissance. 

L'Homme est dans sa nuit. Il est content d'y être et dans ce charnier, il n'y a pas d'espoir d'action véritable. Le premier pas de celle-là naît lorsque le charnier est vu. Ensuite, le labeur du jour et de la nuit est à chaque pas, chaque mouvement du corps car cette vie est de la matière et il est inutile de vouloir la masquer.

Il avait cru que s'en était terminé. Et maintenant, il y a ce visage-là sous la roche plate, sa lourde pelisse de peau l'accueillant, car maintenant, c'est lui, le vieux, qui doit l'accueillir et d'un coup il se sent vieux. Cela va être son travail dans les années qu'il reste encore sur ce Monde-là.

Mais avec ce visage-là, il sait que le combat sera dur, très dur. Que ses yeux sont profonds !!!!... Ouverts, ils doivent sonder le plus profond du cœur des hommes et leur rire au nez !!!!

 

Le vieux se lève sur ses jambes qui craquent et il époussette la neige qui est tombée des pins sur sa robe de moine. Il ajuste le bonnet de laine sur son crâne rasé et lève le visage au jour entre les cimes des pins. C'est une journée de soleil qui est là. C'est bien.

Maintenant, il doit trouver un traîneau pour y mettre le corps et l'emporter au monastère. 

Il faudra qu'il passe par les cols hors les chemins.

Personne ne doit voir ce visage-là !

 

Il grimpa la pente à quatre pattes, vers le chemin qui traçait sa sente à peine visible entre les troncs de pins. La croûte gelée cassait sous son poids et il dût se mettre à quatre pattes pour les derniers mètres, enfouissant ses mains sous la neige pour s'agripper aux racines.

Tandis qu'il montait ainsi en exhalant son souffle qui sortait de sa gorge tel un nuage de brume chaude, il devinait son effort lorsqu'il faudra remonter le corps inconscient. Cette peine-là lui fit un bond dans le cœur car c'était la consolidation du lien entre lui et l'autre.  Le trouver fut le premier pas. Le ramener au monastère sera le deuxième tout aussi difficile, mais autre. Celui-là devra être celui du corps. La neige entra dans sa bouche. Il ne la recracha pas.

 

Sur la sente, il put se tenir debout, faisant sauter les traces de neige sur sa robe avec de grands gestes brusques. Il se surprit à rire et il constata qu'il avait faim. La lumière dessinait ses traits entre les pins.  La journée sera celle qu'il faut pour ce qu'il avait à faire.  Tout est bien ainsi.

 

La descente se fit douce. Il en profita pour chercher les endroits où le traîneau devra passer. Sûrement qu'il devra traîner le corps assez loin vers la vallée. Il ne pourra pas passer plus haut, entre les pins qui se resserraient en attaquant les crêtes. Hier, il avait tendu les yeux vers elles, cherchant un passage. Il savait ne le trouver qu'en amont du village, en le contournant par le nord, à travers les herbages gelés. Il devra suivre le ruisseau, puis chercher le gué qui va vers les coupes du flanc de la montagne. Il devra monter dur entre les billes de bois qui attendaient le dégel pour être descendues. Au-dessus, il y a la faille dans la crête qui le fera passer sur le plateau.  Derrière, ce sera l'autre vallée et en celle-là, la sécurité sera meilleure.

 

Mais cette autre vallée sera pour demain au matin. Il y a maintenant une journée à passer avec les hommes de celle-là. Celle-là qui est trop reliée à la grande ville plus bas. Les soldats viennent vite et les hommes qui aiment l'argent seront ceux qui les appelleront.

Il ne faut pas qu'ils trouvent un reproche au vieillard qui va passer la journée avec eux.  Telle est la loi des Hommes et l'ignorer serait la pire des bêtises. Aussi, lorsque le chemin de la vallée fut visible entre les derniers arbres de la forêt, il lacéra le bas de sa robe de moine, arracha le cordon de la taille. Il enleva ses signes de pouvoir autour de son cou. Il ne pouvait pas les laisser là. Ils les verraient s'ils ouvraient le col de sa bure. Il en fit un paquet dans un morceau de sa robe qu'il arracha contre son mollet et l'enfouit au pied du tronc creux longeant la sente. À genoux, il creusa la terre sous les racines. Il poussa la chaîne et les médailles en or dans la terre gelée qu'il griffa des ongles. Lorsque sa main droite saigna, lorsqu'il sentit ses ongles casser sous l'effort, il mit la main gauche et continua son travail de sape.  Le sourire était sur ses lèvres, celui-là qui étire les lèvres vers les joues, sans laisser apparaître les dents et il était content car ce sourire-là, il ne l'avait plus depuis longtemps. Depuis qu'il avait pensé que le destin ne voulait pas qu'il ait un successeur.

Il savait la méthode pour mettre sa force vitale dans ses mains pour que ses mains soient des serres aux ongles redoutables.  Il savait comment drainer la force vitale pour que ses os soient comme une barre d'acier. Il connaissait comment rendre sa peau comme une chemise de fer. C'était le Maître. Mais maintenant, ici, il ne fallait pas qu'il le soit. Et il sourit en ramenant toute sa faiblesse d'homme dans ses mains et ses ongles afin que ses mains se blessent et ses ongles cassent. Il souriait car cela, il sait qu'il devra l'enseigner à celui qui reste encore inconscient sous la roche plate, au chaud sous sa lourde pelisse qu'il a pris soin de bien coincer avec des pierres de chaque côté. Plus encore que la chaleur de la peau, c'est celle de son cœur qu'il a laissé dans son corps qui le tiendra au chaud. C'est elle qui entraînera le sang. C'est elle qui fera du cœur un instrument léger car il a mis en branle le mécanisme des deux autres pompes, celle du Ciel et celle de la Terre.  Il a mis la nuit pour ce rude travail, mais lorsqu'il l'a quitté, il a su qu'il ne risquait rien, ni du froid, ni des bêtes, ni des hommes. Il est maintenant sous sa protection. Nul n'approchera de ce lieu. Il a fait les trois cercles autour de la roche et les neuf autres sur la sente, là où se trouve le passage pour aller à l'homme au visage effrayant. Celui-là ne risque rien. Il est sous la protection du Maître de la famille SHIN.

 

Il rit en examinant son travail sur ses mains saignantes. Une formation à l'envers ! Cela, il faudra qu'il le lui apprenne vite.

 

Il frotta les mains sur son visage et y laissa les traces noirâtres. Puis, il retira de la terre foncée de dessous les racines, la réchauffa entre ses paumes et s'en macula les joues et le cou. Il salit le col de sa tunique.  Il grimaça lorsqu'il dut mélanger cette terre et ce sang aux poils blancs de sa barbiche. Il en prenait tant soin ! À pleines mains, il en saisit le côté gauche et tira brusquement. Les larmes ne lui vinrent pas aux yeux sous la douleur. Il était le Maître maintenant depuis si longtemps ! Il examina la poignée de longs cheveux blancs qui se mélangeaient à la terre, puis il rit en les jetant dans le vent qui se levait de nouveau.

Il était le Maître mais personne ici ne devait le savoir. 

Le premier jour avec celui qui deviendra son fils, pas à pas dans la confiance et l'amour ne devait pas être celui du Tigre. Le Tigre viendra plus tard. 

Ici, maintenant, c'est le jour de l'eau et il rit sur ses dents closes car il devine que cet enseignement, il aura un mal de chien à le faire entrer dans la caboche de celui qui est revenu à la vie sous lui cette nuit. Par tous les Kamis, quel visage effrayant ! Et quelle odeur ! 

 

Le vieillard se releva. Il étala des aiguilles de pins sur la neige, effaça ses traces. Du sentier, on ne voyait rien de son passage. Alors, il gagna l'autre côté, un peu plus bas et se jeta dans la neige, le dos rond. Il roula et étendit les bras pour que les traces soient généreuses, qu'elles montrent un homme qui s'était, cette nuit, débattu avec la tourmente.  Les hommes aiment tant les apparences !

Lorsqu'il sentit la neige bien foulée, il se redressa et à quatre pattes remonta le pente, prenant soin de laisser des marques nettes. Contre le gros pin, il frotta sa joue et la peau s'ouvrit car il interdit à sa force vitale d'aller à cet endroit. Il remonta la chair sur l'écorce vive et laissa sa trace rouge. Il chercha une aspérité de la peau de l'arbre et y incrusta la commissure droite de ses lèvres.  Puis il tira. Il interdit à son corps de ramener le sang à lui et de fermer la plaie. Il interdit à son corps tous les mécanismes qu'il connaissait.  Aujourd'hui, il ne devait pas être le Maître. Un pauvre vieux qui s'était laissé surprendre par la nuit dans la forêt.  Un pauvre fou qui n'avait même pas vu, ni senti la nuit venir.  Une haire sans argent. Un de ceux qui se joindra à ceux qui tendent la main dans la rue. Un de ceux qui n'ont pas de flamme dans les yeux.

 

Il resta longuement allongé dans la neige, ressentant la terre sous la couche. Cette terre était chaude et c'est elle qui doit être sa compagne aujourd'hui; pas le Ciel. 

Puis il s'assit sur une souche, plaça ses mains l'une sur l'autre, contre son ventre, entre ses cuisses pliées. Il plaça sa respiration sous son nombril et ouvrit le passage à la porte de la vie. Son œil était terne. Tout était bien ainsi. 

Maintenant il peut y aller, au village.

 

 

 

 

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